Les patrons de la tech et les capitaux-risqueurs, ces hérauts de l’innovation de la Silicon Valley, qui se sont très longtemps affirmé massivement progressistes et démocrates, sont en train de se rallier massivement à Trump, auquel ils se sont pourtant longtemps opposé, constate Evgeny Morozov dans une tribune pour le Guardian.
Morozov rappelle que les investisseurs de la Silicon Valley ont longtemps partagé avec les démocrates une croyance commune dans le techno-solutionnisme, c’est-à-dire dans l’idée que les marchés, renforcés par la technologie numérique, pourraient produire des biens sociaux là où la politique gouvernementale avait échoué. Mais cette utopie n’a cessé de se dissoudre à mesure qu’elle tentait de se réaliser. On nous a promis que les médias sociaux pourraient renverser les dictateurs, que les cryptomonnaies pourraient lutter contre la pauvreté, que l’IA allait guérir le cancer… Autant de techno-promesses qui ne se sont pas réalisées. Morozov rappelle que l’histoire d’amour entre la Tech et les démocrates a commencé dans les années 80 quand ceux-ci ont vu dans la Silicon Valley le moyen de promouvoir un progrès social, économique et environnemental qui reposerait sur l’innovation technologique. Les démocrates ont alors accepté toutes les mesures favorables à l’extension du capital-risque. Une alliance politico-économique qui a changé le financement de l’innovation : aux institutions publiques la science fondamentale et aux sociétés de capital-risque les startups qui en commercialisent les résultats. Un modèle qui permet aux américains de payer des prix de médicaments parmi les plus élevés au monde, ironise Morozov.
Les grandes promesses techno-solutionnistes
Depuis des années, les investisseurs ne cessent de se tresser leurs propres lauriers, vantant le rôle essentiel qu’ils jouent dans le progrès et l’innovation qu’ils rendent possible, tout en célébrant des marchés libres et sans limites, à l’image du ringard manifeste techno-optimiste de Marc Andreessen, ode à la « machine techno-capitaliste ». Une machine qui permet aux investisseurs de contrôler l’orientation de l’innovation à leur plus grand profit, et qui, à force de s’auto-célébrer, nous conduit à penser qu’il n’y a pas d’alternative au techno-capitaliste. Pourtant, les grandes promesses techno-solutionnistes se sont dissoutes. Le bitcoin n’a enrichi aucun démuni. L’IA semble bien plus promettre la fin des emplois que leur renouveau. Quant aux médias sociaux, l’idée qu’ils puissent promouvoir la démocratie a été abandonnée, et les leaders technologiques semblent désormais bien plus soucieux d’échapper aux responsabilités que leurs plateformes ont joué dans la subversion de la démocratie.
Une croyance commune
Morozov rappelle que les investisseurs de la Silicon Valley ont longtemps partagé avec les démocrates une croyance commune dans le techno-solutionnisme, c’est-à-dire dans l’idée que les marchés, renforcés par la technologie numérique, pourraient produire des biens sociaux là où la politique gouvernementale avait échoué. Mais cette utopie n’a cessé de se dissoudre à mesure qu’elle tentait de se réaliser. On nous a promis que les médias sociaux pourraient renverser les dictateurs, que les cryptomonnaies pourraient lutter contre la pauvreté, que l’IA allait guérir le cancer… Autant de techno-promesses qui ne se sont pas réalisées. Morozov rappelle que l’histoire d’amour entre la Tech et les démocrates a commencé dans les années 80 quand ceux-ci ont vu dans la Silicon Valley le moyen de promouvoir un progrès social, économique et environnemental qui reposerait sur l’innovation technologique. Les démocrates ont alors accepté toutes les mesures favorables à l’extension du capital-risque. Une alliance politico-économique qui a changé le financement de l’innovation : aux institutions publiques la science fondamentale et aux sociétés de capital-risque les startups qui en commercialisent les résultats. Un modèle qui permet aux américains de payer des prix de médicaments parmi les plus élevés au monde, ironise Morozov.
La machine techno-capitaliste
Dans les années 70, comme Morozov l’explique dans une série en podcast, a sense of rebellion, quelques hippies radicaux promouvaient la technologie écologique et la contre-technologie. Ils considéraient la technologie comme le produit de relations de pouvoir et souhaitaient modifier fondamentalement le système lui-même. Pour eux, notre problème n’était pas « la technologie », mais la technologie spécifiquement capitaliste. Après la seconde guerre mondiale, le sénateur démocrate Harley Kilgore a prédit les dangers de voir la science devenir « la servante de la recherche commerciale ou industrielle ». Il proposait que la National Science Foundation (NSF) soit gouvernée par des représentants des syndicats, des consommateurs, de l’agriculture et de l’industrie pour garantir que la technologie réponde aux besoins sociaux et reste sous contrôle démocratique. Il proposait également que les entreprises soient obligées de partager leur propriété intellectuelle si elles s’appuyaient sur de la recherche publique et qu’elles ne puissent être les seules fournisseurs de solutions aux problèmes sociaux. Notre approche actuelle, portée par les commerçants de la Silicon Valley, qui est l’exact inverse, doit être profondément réinterrogée estime Morozov. La Silicon Valley est obsédée par la l’accélération de la machine techno-capitaliste d’Andreessen qui « repose sur le détachement des marchés et des technologies du contrôle démocratique ». Avec la perspective de voir Trump revenir à la Maison Blanche, leur techno-solutionisme n’aura aucun mal à servir l’autoritarisme comme ils ont servi finalement les programmes néolibéraux des démocrates. A terme, l’horizon n’est pas tant la fin du techno-solutionnisme sous-entend Morozov, que le risque qu’il ne soit plus du tout un horizon progressiste. Pour lui, les démocrates devraient comprendre que les capitaux-risqueurs sont le problème plus que des alliés. Les démocrates devraient se défaire de leur fascination pour la Silicon Valley et son techno-solutionnisme. « Pour construire une machine techno-publique véritablement progressiste, nous devons repenser la relation entre la science et la technologie, d’une part, et la démocratie et l’égalité, d’autre part ». C’est-à-dire construire une « machine techno-publique » qui repense le rapport entre la science et la techno par la démocratie… gouvernée et orientée par les besoins sociaux et les représentants de la société. Simple et stimulant ! Pas sûr pourtant que nous en prenions le chemin.
MAJ du 11/07/2024 : Dans AOC, le sociologue Olivier Alexandre dresse le même constat. Il estime que la Tech après avoir été un symbole du progrès, est entrée dans un moment conservateur…