Le dernier numéro du Chiffon, le journal de Paname et sa banlieue a pour thème « Transition partout, écologie nulle part ». Comme souvent le journal indépendant et technocritique propose nombre de reportages sur les enjeux des déploiements technologiques en Ile-de-France. Dans le numéro de l’automne, on peut y lire un retour sur le sabotage des bornes biométriques en 2005 mises en place pour accéder à la cantine d’une lycée de Gif-sur-Yvette, une critique de l’utilisation du terme transition en Ile-de-France dressant un historique de son emploi depuis plus de 25 ans par les acteurs publics, sans que ce discours n’ait produit grand effet. Une analyse radicale sur Newcleo, la startup qui veut installer une usine de fabrication de combustible nucléaire. Un passionnant reportage sur l’implantation de data centers en Ile-de-France et la difficulté à organiser l’opposition (ainsi qu’une carte de déploiement des projets), une enquête sur Agoralim, ce deuxième Rungis ou un débunkage du storytelling de la transformation de la raffinerie de Grandpuits en bioraffinerie…
Parmi tous ces reportages passionnants, Le Chiffon en signe un sur Op@le, le logiciel de gestion financière des collèges et lycées lancé en 2021 que nous n’avions peu vu abordé jusqu’alors (voir ce reportage de France 3 et cet article du Monde). Ce système, conçu par Capgemini, aurait déjà coûté près de 100 millions d’euros à l’Education nationale. Problème : quand il était possible de faire 70 facturations en une demi-journée avec l’ancien logiciel, le nouveau permet péniblement d’en traiter une douzaine. En cause, une ergonomie catastrophique mais qui a des conséquences directes : impossibles de facturer de la veille au lendemain, complexité qui conduit à limiter les projets scolaires, problèmes pour contrôler le versement des bourses aux bons élèves, voir le paiement des stages…
Des problèmes signalés dès le début du déploiement mais qui ne semblent pas avoir été pris en compte. Dès 2018 pourtant, la Dinum avait produit une alerte sur la charge que le logiciel imposait aux gestionnaires comptables des établissements qui doivent être lourdement formés pour l’utiliser. La complexité conduit à ce que les comptables et les personnels administratifs s’y spécialisent et soient contraints de gérer plusieurs établissements au détriment des liens avec les établissements et leurs équipes. Les syndicats de la branche administration et comptabilité de l’éducation nationale se mobilisent début 2024 avec une pétition qui a rassemblé plus de 7000 signataires. Un rapport parlementaire de 2024 sur les personnels administratifs de l’éducation nationale explique que le logiciel « durcit l’application des règles de gestion budgétaire et comptable ». La généralisation d’Op@le est repoussée à 2027 et le ministère de l’Education assurait très récemment dans une réponse à une question parlementaire, que tout était sous contrôle.
En attendant, les gestionnaires d’établissements parlent, eux, de logiciel fou… qui a des conséquences directes sur leur santé, mais aussi sur les possibilités que peuvent mobiliser les établissements. Si les sorties scolaires sont moins nombreuses, ce n’est pas seulement parce que les lignes budgétaires se réduisent, c’est peut-être aussi parce qu’elles se sont perdues dans Op@le.
Bref, lisez le Chiffon !
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