Sur la place, deux grands hangars blancs ont été montés pour accueillir le marché de Noël. Mais les marchés sont fermés et la place est plongée dans la nuit. Il faut patauger dans la boue pour atteindre la MJC Fernand Léger de Corbeil-Essonne en ce soir décembre, à la veille des vacances.
Les militants sont déjà là. Dans l’amphithéâtre, ils préparent la sono, mettent une banderole. A l’entrée, un libraire est venu avec quelques livres. Les gens se connaissent, comme un réseau d’acteurs qui se retrouve. A côté de l’entrée, on entend des élèves suivre un cours de guitare. La salle se remplit peu à peu.
Le dernier RER pour Paris est à 21h55 nous prévient-on d’entrée. Le militant qui fait l’introduction ressemble un peu à Marcel Mouloudji. Il explique que la soirée est consacrée à présenter les impacts sociaux et écologiques des entrepôts logistiques qui se déploient partout en France et notamment ici, en Essonne. Ces entrepôts, conséquences directes des modes de production et de consommation génèrent de la pollution, de l’artificialisation des sols… et surtout de la précarité et de la pénibilité pour les centaines de milliers de travailleurs qui s’y épuisent. Ici, le développement des entrepôts a des conséquences concrètes, bien au-delà du travail, et permet d’inter-relier des luttes, locales comme globales, sociales comme politiques, en interrogeant la question du transport et du fret, la transformation de la Seine comme la lutte des travailleurs sans papiers…
Rapidement, la parole est donnée au jeune chercheur David Gaborieau venu évoquer avec simplicité ce que le développement de la logistique, ici, transforme. La logistique n’est plus un secteur invisible, attaque-t-il. On en parle désormais beaucoup et on en a beaucoup parlé, notamment durant la pandémie. On a longtemps pensé qu’Amazon n’était qu’un site internet. Depuis les gens ont découvert que ses entrepôts, eux, n’avaient rien de numérique. Mais si le secteur est mieux connu, nul ne sait ce qu’il se passe à l’intérieur. David Gaborieau a interviewé nombre d’ouvriers du flux, comme on les appelle. Manutentionnaires, préparateurs de commandes, pickers, injecteurs (ceux qui alimentent les tapis roulants), agents de quai, caristes… Selon leurs qualifications, ce sont là les principaux métiers des entrepôts logistiques. Le chercheur explique qu’il a aussi fait de l’intérim dans ces entrepôts pour comprendre ce travail de l’intérieur, pour bien saisir l’objet de ses recherches.
La révolution logistique, infrastructure de la globalisation
Si Amazon est l’emblème du secteur, la logistique va bien au-delà. Carrefour a plus d’entrepôts qu’Amazon, rappelle-t-il… et si le e-commerce a transformé le secteur ces dernières années, la grande distribution et l’industrie sont d’importants moteurs de son développement qui se concentre autour des axes de circulation à proximité des grandes métropoles. On parle d’ailleurs de « révolution logistique » pour dire « qu’elle transforme l’économie contemporaine comme la révolution industrielle a transformé l’économie du XIXe siècle ». La logistique est née avec l’émergence de la grande distribution après la seconde guerre mondiale. D’abord utile au stockage, dans les années 80, elle va progressivement servir la délocalisation de la production, c’est-à-dire qu’elle va permettre « l’accroissement de la distance entre les lieux de production et de consommation ». Efficace et peu coûteuse, elle s’impose comme « l’infrastructure de la globalisation ». « Elle ne sert pas qu’à transporter et stocker des produits, elle gère la distance entre les différents lieux de production ». Un iPhone par exemple passe par plus de 40 unités productives avant d’arriver dans les mains de son propriétaire : il a fait 20 fois le tour du monde avant qu’on ne l’achète ! On comprend alors que cette révolution logistique transforme les systèmes de production, notamment en renforçant la délocalisation et la sous-traitance dont elle est à la fois le moteur et le carburant. La logistique est synonyme d’externalisation : on produit dans un réseau de sous-traitance et la logistique permet de gérer la distance entre tous les points de sous-traitance, lui permettant de s’étendre et se renforcer. Ce qui a bien sûr des impacts politiques, rappelle le chercheur : les grandes usines productives d’autrefois sont désormais éclatées entre sites qui se font concurrence, faisant disparaitre les bastions ouvriers d’antan.
« Avant on disait toujours que la sphère de production était au cœur de l’économie, désormais, elle est bousculée par la sphère de la circulation qui est devenu le cœur de la création de valeur économique »… Tant et si bien que quand un porte-conteneur obstrue le canal de Panama en 2021, c’est toute l’économie mondiale qui ralentie.
Ces transformations ont également des conséquences sur l’emploi. Un quart des ouvriers en France relèvent de la logistique et du transport. Les métiers ouvriers de la chimie, du textile ou de la métallurgie ont diminué au profit de ceux du transport, de la logistique et du déchet. Les ouvriers n’appartiennent plus au monde de l’industrie, mais sont désormais majoritairement des ouvriers du tertiaire : « 50% des ouvriers en France sont des ouvriers du secteur tertiaire ». Ainsi, d’anciens caristes des usines Renault le sont désormais dans des entrepôts logistiques. Ils font le même métier, mais ne relèvent plus du même secteur. « Dans les entrepôts de la logistique, 80% de l’emploi est ouvrier. A l’inverse, dans le secteur automobile, il n’y a plus que 40% d’ouvrier, tout le reste sont des cadres et ingénieurs ». La logistique est devenu le bastion d’un monde ouvrier qui a profondément muté.
Enfin, le secteur de la logistique est particulièrement concentré en Île-de-France, notamment autour de Roissy, d’Orly et de Marne-la-Vallée. « Sur 1 million de personnes qui travaillent dans la logistique en France, l’Île-de-France concentre 350 000 employés ».
Dans les usines à colis
Dans les « usines à colis », on trouve beaucoup de nouvelles technologies qui servent à faire du taylorisme moderne. Gaborieau s’est beaucoup intéressé à la commande vocale (comme l’illustrait une enquête de Cash Investigation de 2017), qui indique aux préparateurs de commande où se rendre dans l’entrepôt pour prendre chaque éléments d’une commande à assembler. Une voix numérique leur donne des indications en continue à laquelle ils doivent obéir en validant d’un OK, plusieurs centaine de fois par jour. « La machine ordonne et les humains continuent de porter les produits à la force des bras ». La manutention s’est moins mécanisée qu’on le pense.
La commande vocale est apparue au début des années 2000, rappelle le sociologue. Elle est très présente dans la grande distribution, alors que le secteur du e-commerce repose lui, plus souvent, sur le Pad, une tablette que les employés portent au bras ou au poignet. Ces outils sont très normatifs. Ils renforcent les cadences. Font perdre beaucoup de savoir-faire ouvriers et individualisent le travail. Pour bien faire son travail, il faut suivre les ordres de la machine. Cela a pour conséquence première d’avoir intensifié le travail. Selon l’INRS, les cadences aurait progressé de 10 à 15% dans le secteur. Une intensification soutenue également par des primes : ceux qui suivent les cadences, qui tiennent les objectifs des machines, reçoivent des primes conséquentes. 250 à 300 euros de primes sur un Smic relève d’une forte incitation. Enfin, ces déploiements techniques produisent un très fort contrôle de l’activité. On sait en continue où sont les ouvriers, leur rythme de travail… « tant et si bien que les cadres se plaignent parfois de n’avoir plus rien à faire », rapporte le sociologue. Il y a d’autres modalités de contrôle dans la logistique, comme le GPS des camions ou désormais le développement des tapis roulants. « La commande vocale a fabriqué les ouvriers spécialisés (OS) des colis ». Mais ceux-ci se déplacent encore. Avec le retour des convoyeurs, on revient aux Temps Modernes de Chaplin, avec un travail posté, très répétitif. Quel que soit ses formes, le travail d’OS est en plein essor dans le secteur.
« Si le secteur parle beaucoup d’automatisation, celle-ci révèle bien plus d’un mirage qu’autre chose », explique David Gaborieau… Un mirage sans cesse répété et renouvelé depuis le début de l’industrialisation. La promesse de la disparition du travail physique n’est pas nouvelle, dans le secteur textile au XIXe siècle, on l’envisageait déjà. Dans la réalité, il y a très peu d’entrepôts entièrement automatisés. L’automatisation coûte chère et ne fonctionne pas toujours très bien. En réalité, la logistique concentre surtout une forte présence du travail manuel, très contrôlé. Et ce n’est pas amené à changer radicalement à l’avenir, estime le sociologue. Derrière les convoyeurs où circulent les colis, il y a d’abord des masses de travailleurs qui travaillent à la chaîne. Qui coûtent bien moins chers que des robots qui tombent trop souvent en panne.
En matière d’emploi, la logistique est l’un des secteurs qui a le plus recours à l’intérim. Le sociologue Lucas Tranchant parle d’ailleurs d’intérim de masse. On compte 25% d’intérimaires dans le secteur, contre 7% il y a 20 ans. L’intérim est structurel et fonctionne comme un système de déqualification. « En fait, quel que soit le temps que vous passez en entrepôt, celui-ci ne permet pas d’évoluer ou de se qualifier. C’est un secteur où il n’y a pas d’évolution professionnelle, pas de formation. Les 80% d’ouvriers du secteur ne peuvent pas accéder aux 20% de postes d’encadrement ». Quant à la dégradation de l’emploi, elle n’est pas très bien répartie. Les femmes sont très minoritaires dans le secteur, mais subissent les emplois les plus dégradés, comme les ouvriers d’origine étrangère. C’est également un secteur qui se masculinise fortement (80% des employés sont des hommes).
« Comment les ouvriers perçoivent-ils tout cela ? », interroge le chercheur. « Ils disent tous à la fois, qu’ils sont devenus des robots et qu’ils ne sont pas des robots. Ce terme est un moyen de désigner la perte d’autonomie et le risque de déshumanisation qu’ils vivent ». « Mais ils ont des problèmes de santé que n’auraient pas les robots ». Les problèmes de santé dans la logistique apparaissent très rapidement quand on est manutentionnaire. Ils apparaissent plus rapidement que dans le secteur automobile par exemple. Dès 4 à 5 ans de travail dans le secteur, contre 8 années dans l’automobile. L’usure accélérée des corps se caractérise par des troubles musculo–squelettiques (TMS) et des lombalgies notamment. Ces problèmes de santé spécifiques arrivent dans d’autres mondes ouvriers. Dans le secteur automobile, les ouvriers peuvent parfois évoluer vers des postes un peu plus protecteurs. Mais dans les entrepôts de la grande distribution alimentaire, où 65% des postes sont des postes de préparateurs de commande, il n’y a pas d’autres fonctions disponibles. Cela explique que, les perspectives professionnelles des OS de la logistique, « c’est d’en sortir », de ne pas rester trop longtemps pour ne pas s’abimer la santé.
Les ouvriers de la logistique n’en ont pas moins une forte contre-culture ouvrière. Dans les entretiens menés, on constate une forte distinction entre « nous et eux », distinguant le monde ouvrier du monde de l’encadrement. Dans les entrepôts, on voit beaucoup de scènes de solidarité, de micro-résistances conflictuelles… On bouscule le chef d’équipe, on se moque de la commande vocale… On trouve même une part importante de vol, relativement tolérée, rapporte le chercheur.
La logistique contre les territoires
Le développement de la logistique a été beaucoup présentée comme une opportunité pour des territoires où les usines disparaissent. Le problème, c’est que les entrepôts du tertiaire sont plus coûteux socialement que les usines. L’emploi y est plus dégradé. Les entrepôts ont un coût plus élevé pour les territoires en termes d’infrastructures routières, de coûts environnementaux, mais également de coûts sociaux et de santé. Mais surtout, « les activités logistiques sont très labiles : elles se déplacent très vites ». Si le cours du pétrole évolue, on peut déplacer un entrepôt bien plus rapidement qu’une usine.
Les entrepôts sont un terrain de lutte très convoité, rappelle Gaborieau. Les Gilets jaunes en ont beaucoup bloqué pour tenter de bloquer les flux. Pour autant, le secteur n’est pas très syndiqué (le taux de syndication est de 4%, contre 10% dans l’ensemble du monde ouvrier) notamment parce que les établissements sont souvent petits, et que la précarité et l’intérim rendent la syndicalisation difficile. D’autant que les syndicats sont parfois à cheval à plusieurs secteurs (commerce, logistique, transport). Reste que la syndicalisation progresse. Les conflits aussi. « Ce secteur est une cocotte-minute qui pourrait déborder à un moment ou autre ». D’autant que les luttes des ouvriers du secteur, viennent en croiser d’autres, écologiques notamment, contre le développement routier et autoroutier, et contre les projets de développement des entrepôts eux-mêmes. Les citoyens se mettent à réfléchir à l’utilité sociale des entrepôts, à l’image de l’opposition contre le projet Greendock qui se présente comme le nouveau corridor logistique sur la Seine. Ces contestations citoyennes et sociales se développent avec le développement de l’emprise urbaine des entrepôts. Chaque année, on construit 2 millions de m2 d’entrepôts en France : autant que de surface de bureaux.
Dans les luttes, un faux paradoxe apparaît, celui de l’emploi. Les entrepôts prennent beaucoup de place mais proposent, proportionnellement, peu d’emploi. L’emploi est d’ailleurs souvent le prétexte que mobilisent élus, promoteurs et responsables d’entreprises pour pousser à leur développement. En vérité, les entrepôts bougent beaucoup. Non seulement ils participent à créer des friches, mais également des dégâts sociaux, car ces déplacements ont un impact sur les ouvriers. La durée de vie d’un entrepôt est assez basse, à Marseille, l’entrepôt ID logistics implanté dans les quartiers Nord, a été déplacé à 135 kilomètres à peine 3 ans après son ouverture. Enfin, ces entrepôts ne sont pas que des usines à colis, ils sont surtout des « usines à camion ». Le fret ferroviaire ou fluvial pourrait paraître comme une solution, mais tant que le fret routier restera si peu cher et disponible, rien ne changera (et ce, alors que le fret ferroviaire est en plein démembrement). Au Havre, le développement du fret ferroviaire volontariste n’a pas pris. « Les coûts logistiques sont si bas qu’ils rendent difficiles de penser la relocalisation à moins de l’encadrer plus sérieusement qu’elle n’est ». Dans les rapprochements entre luttes écologiques et sociales, on voit naître des contre-projets promouvant une logistique utile, comme le contre-projet à Greendock ou le contre-projet à l’A69. Reste que l’Île-de-France ne peut pas se passer d’approvisionnement. Seuls les ouvriers de ces secteurs peuvent aider à créer et penser des contre-projets, conclut le chercheur.
La convergence des luttes par l’exemple
L’un des militants sur scène, rappelle qu’en Essonne, l’emprise logistique s’est accélérée. L’urbanisation galopante à fait fleurir une France moche. Les entrepôts, après avoir conquis le péri-urbain, colonisent désormais le Sud de l’Essonne rurale. Dans son livre, Nos lieux communs, l’écrivain Michel Bussi, dépeint le développement incontrôlé du capitalisme sur les territoires, plus subit qu’accéléré par les responsables politiques locaux. Partout, on bétonne. Partout, on bitume… dans un non-sens écologique qui aggrave les conflits d’usages à toutes les échelles. Avec les agriculteurs comme avec les riverains, avec les salariés, comme avec les écologistes.
Pour Julien conducteur de train et responsable à l’Union syndicale des transports, le démantèlement du fret ferroviaire ne va pas améliorer la situation. Pour lui, il est essentiel de lutter pour améliorer les conditions de travail des travailleurs et défendre la notion de service public pour le transport de marchandise comme de voyageurs. « Nous devrions lutter pour un grand service public des transports et de la distribution multimodale, afin de sortir la logistique de sa logique de profits délétère et répondre aux enjeux écologiques auxquels le capitalisme ne sait pas répondre ».
Anne, de Solidaires Sud Emploi, rappelle que dans le secteur de la logistique, « on voit de moins en moins des emplois. Seulement du travail ». Contrairement à ce qu’on entend, la mécanisation recule et la manutention explose. Le secteur, désormais, recrute via des sociétés d’insertion des gens qui n’ont jamais travaillé. « Ce n’est plus de l’insertion par l’emploi, mais de l’insertion par le travail ». Ils filent à l’entrepôt comme on allait à la mine, sans formation. Les contrats sont très courts. Le secteur abuse des carences, pour permettre aux ouvriers épuisés de se remettre de leurs problèmes de santé entre deux contrats. Les demande de travail handicapé augmentent. Le travail logistique casse physiquement ses salariés et pose la question collective de ce que nous ferons d’eux quand ils ne pourront plus faire ce métier.
Une personne dans le public vient prendre la parole pour l’association des « Vergers vivants de Lieusaint », une association pour défendre les vergers agricoles en Essonne. Longtemps, le Sud de l’Essonne a été considéré comme un territoire vide. Désormais, c’est un territoire qu’il faut valoriser. En 2020 à Saint-Pierre-du-Peray, on a récupéré un verger sans gestionnaire qu’on a tenté d’exploiter avec des bénévoles. Face à des projets de bureaux, nous sommes allés envahir le siège de l’établissement public d’aménagement, explique le défenseur du verger. Pour l’instant, le verger est toujours là du fait de notre résistance locale. Mais fasse au rouleur compresseur de « l’aménagement économique », pour combien de temps ?
Un travailleur de la logistique sans papier témoigne à son tour. Il rappelle que les conditions de travail sont très précaires et très dures : les colis sont bien souvent plus lourds qu’on ne pense. Pour lui, ce secteur ressemble à l’esclavage. On y menace les gens, notamment les plus précaires qui craignent de ne plus pouvoir travailler s’ils défendent leurs droits. Il rigole en évoquant les robots. Pendant un an, ils ont tenté de les mettre dans l’entrepôt où il travaillait : « ça n’a jamais marché ! » Olivier pour la CGT évoque lui aussi l’esclavage en évoquant les conditions de travail du secteur. En 2022, il y aurait eu 1700 déclarations d’accident de travail pour le seul entrepôt d’Amazon à Bretigny-sur-Orge, « même si, Amazon, socialement, c’est peut-être le moins pire ». Le turnover s’envole. Les syndicats n’ont pas même le temps d’installer les choses que tout est à recommencer. A Amazon, l’intérim, n’est plus à 26%, mais à 33% désormais. « Du boulot de merde, il y en a », rappelle le syndicaliste. Et le pire est que bien des gens en ont besoin.
Joseph, salarié d’Amazon et représentant syndical explique que oui, la logistique créé des emplois. « Quand l’entrepôt d’Amazon à ouvert à Bretigny en août 2020, il y avait 600 salariés en CDI. En 2024, ils sont 4700 ». Le reste (soit plus de 2300), ce sont des intérimaires. Le site fonctionne avec 5 équipes qui se relaient 24h/24, semaine et week-end compris. Le Conseil départemental dans son soutien au développement du secteur ne regarde que la création d’emplois, pas ce qu’il se passe à l’intérieur. Amazon a réalisé 4 milliards de bénéfices. La logistique génère beaucoup de richesses, mais pas pour ses ouvriers. Un autre militant évoque le développement d’une formation dédiée, lancée par Amazon, en apprentissage. Mais il est difficile d’envoyer de « la chair à patron » dans ces formations d’exécutants. Comme le rappelait le reportage du magazine Complément d’enquête sur les formations déployées par les grandes enseignes : bien souvent, la formation y est inexistante.
Un représentant de « La voie du village », association d’habitants d’Evry pour améliorer la qualité de vie, rappelle que la Vallée de la Seine est un territoire très convoité, en très forte densification, où l’aménagement est souvent imposé sans concertation. Il dénonce le risque de transformer la Seine en autoroute fluviale, pour acheminer des conteneurs et du vrac depuis Rouen ou Le Havre. « Les bords de Seine ne sont plus considérés comme des espaces naturels, mais des opportunités de dessertes, au détriment du bien-être des habitants ». Pourtant, rappelle-t-il, l’État joue un rôle très important dans ces aménagements, notamment via les établissements publics qu’il met en place pour prélever le foncier tout le long du fleuve. « Les bords de Seine qui sont un endroit gratuit et accessibles à tous, sont menacés de devenir bientôt inaccessibles aux habitants ». Un autre habitant témoigne à son tour : « une politique publique alternative est à construire ». Le problème, c’est que nous n’en prenons pas le chemin. Le démantèlement du fret ferroviaire, la spéculation sur les zones de triage très convoitées pourraient bien durablement interdire toute perspective d’alternative au tout routier.
La grande diversité des témoignages, rappelait la complexité des enjeux. Derrière l’ogre logistique, ce sont nos lieux de vies qui sont menacés. Contrairement à ce que l’on pense souvent, le sort des ouvriers du flux est profondément lié à celui des bourgeois qui vivent sur les bords de Seine. Le développement du territoire impacte la vie de tous.
Hubert Guillaud