Surveiller et sauver

Hubert Guillaud

Aux Etats-Unis, nombre d’ordinateurs fournis aux élèves sont désormais sous surveillance. Ils sont non seulement bardés de filtres pour les empêcher d’accéder à certains sites, mais aussi de plus en plus bardés de mouchards qui surveillent ce qu’ils y écrivent, rapporte un reportage glaçant du New York Times. Quand les élèves tapent des mots liés au suicide, des alertes sont désormais déclenchées et conduisent au déplacement de policiers jusqu’aux domiciles des élèves pour procéder à des vérifications.

Pour Laura Erickson-Schroth, directrice d’une organisation sur la prévention du suicide, il est pour l’instant impossible d’éclairer l’efficacité de ces filtrages automatisés, car ils ne sont accessibles qu’aux entreprises qui les ont créées et les interventions qu’aux responsables des districts scolaires. Certes, elles permettent parfois d’intervenir à des moments critiques, mais elles semblent aussi avoir des conséquences importantes à l’égard des élèves, même quand l’alerte se révèle infondée. Plusieurs parents ont déclaré que les alertes avaient incité les écoles à réagir de manière excessive, par exemple en arrêtant la scolarisation de certains d’entre eux, quand bien même ils étaient suivis psychologiquement par ailleurs. Pour les parents qui signent pourtant un accord d’intervention lors de la livraison du matériel, le fait que ce soit la police qui se déplace plutôt qu’un travailleur social interroge également.

Les alertes sont souvent reçues par un responsable de l’école qui doit les analyser et les trier. Les fausses alertes sont nombreuses, mais beaucoup de personnes impliquées dans ces chaînes ont tendance à penser que les faux négatifs ne sont pas graves s’ils permettent de sauver des jeunes en difficulté au moment où ils l’expriment. Alors que certains systèmes sont débranchés en-dehors des heures de cours ou pendant les vacances, nombres d’écoles s’y refusent, introduisant une surveillance omniprésente. Comme le souligne un élève, cette surveillance omniprésente ressemble certainement à l’avenir. Elle rappelle que la police de la pensée chère à Orwell ne s’impose pas pour affirmer une vérité, mais pour nous protéger.