La tech au bord du gouffre financier 

Hubert Guillaud

Thomas Gerbaud a eu la bonne idée de tenter de résumer et synthétiser l’article fleuve d’Ed Zitron, AI is money trap, paru cet été. Cet article interroge la question de la rentabilité des entreprises et startups de l’IA et montre que leur consommation d’investissements est encore plus délirante que leur consommation de ressources énergétiques. 

« Pour faire un lien avec la crise des subprimes de 2008, on peut dire que la Silicon Valley est en crise : au lieu de maisons trop chères, les investisseurs ont mis de l’argent dans des startups non rentables avec des valorisations qu’ils ne pourront jamais vendre, et ils sont probablement déjà en pertes sans s’en rendre compte.

Puisque personne ne les achète, les startups d’IA générative doivent lever des fonds à des valorisations toujours plus élevées pour couvrir leurs coûts, réduisant ainsi leurs chances de survie. Contrairement à la crise immobilière, où la valeur des biens a fini par remonter grâce à la demande, le secteur du GenAI dépend d’un nombre limité d’investisseurs et de capital, et sa valeur ne tient qu’aux attentes et au sentiment autour du secteur.

Certaines sociétés peuvent justifier de brûler du capital (en millions ou milliards), comme Uber ou AWS. Mais elles avaient un lien avec le monde réel, physique. Facebook est une exception, mais elle n’a jamais été un gouffre à cash comme le sont les acteurs du GenAI.

Ces startups sont les subprimes des investisseurs : valorisations gonflées, aucune sortie claire et aucun acheteur évident. Leur stratégie consiste à se transformer en vitrines, et à présenter leurs fondateurs comme des génies mystérieux. Jusqu’ici, le seul mécanisme de liquidité réel de la GenAI est de vendre des talents aux BigTechs et à prix fort. »

Sous quelque angle qu’on l’a regarde, l’IA générative n’est pas rentable. « Cette industrie entière perd massivement de l’argent ». Leurs dépenses d’investissements, notamment en data centers et en puces, sont colossales, « malgré les revenus limités du secteur ». Le risque est que les investissements des Big Tech engloutissent l’économie. 

« L’IA générative est un fantasme créé par les BigTechs.

Cette bulle est destructrice. Elle privilégie le gaspillage de milliards et les mensonges, plutôt que la création de valeur. Les médias sont complices, car ils ne peuvent pas être aveugles à ce point. Le capital-risque continue de surfinancer les startups en espérant les revendre ou les faire entrer en bourse, gonflant les valorisations au point que la plupart des entreprises du secteur ne peuvent espérer de sortie : leurs modèles d’affaires sont mauvais et elles n’ont quasiment aucune propriété intellectuelle propre. OpenAI et Anthropic concentrent toute la valeur. »

« L’industrie de la GenAI est artificielle : elle génère peu de revenus, ses coûts sont énormes et son fonctionnement nécessite une infrastructure physique si massive que seules les BigTechs peuvent se l’offrir. La concurrence est limitée.

Les marchés sont aveuglés par la croissance à tout prix. Ils confondent l’expansion des BigTechs avec une vraie croissance économique. Cette croissance repose presque entièrement sur les caprices de quatre entreprises, ce qui est vraiment inquiétant. »

Pour l’investisseur Paul Kedrosky cité par le Wall Street Journal

« Nous vivons un moment historiquement exceptionnel. Peu importe ce que l’on pense des mérites de l’IA ou de l’expansion explosive des centres de données, l’ampleur et la rapidité du déploiement de capitaux dans une technologie qui se déprécie rapidement sont remarquables. Ce ne sont pas des chemins de fer ; nous ne construisons pas des infrastructures pour un siècle. Les data centers pour la GenAI sont des installations à durée de vie courte et à forte intensité d’actifs, reposant sur des technologies dont les coûts diminuent et nécessitant un remplacement fréquent du matériel pour préserver les marges. »

Pour Zitron, la récession économique se profile. « Il n’a aucune raison de célébrer une industrie sans plans de sortie et avec des dépenses en capital qui, si elles restent inutiles, semblent être l’une des rares choses maintenant la croissance de l’économie américaine. »