« On dit que ma génération gâche sa vie à regarder des divertissements insensés. Mais je pense que c’est pire que ça. Nous transformons désormais nos vies en divertissements insensés. Nous ne nous contentons pas de consommer des bêtises, nous les devenons ».
« Je vois des gens se transformer en personnages de télévision, leurs souvenirs en épisodes, eux-mêmes en divertissement. Nous sommes devenus un contenu dénué de sens, que l’on feuillette et que l’on parcourt. (…) Vieillir est devenu une succession d’épisodes à diffuser. (…) Nous existons pour nous divertir les uns les autres. Pour les influenceurs, bien sûr, c’est leur métier. Ils transforment leur vie en séries télé. Nous avons des bandes-annonces et des teasers. On a des cliffhangers, des fins de saison, des rappels – À la semaine prochaine ! On a des personnages pré-enregistrés et des apparitions surprises. Des cultes et des conventions. Des gags récurrents et des ouvertures spontanées. Des génériques et des génériques de fin. (…) C’est la carrière que tout le monde rêve ; celle qui ne finit jamais. (…) Vendez-vous comme un produit et soyez traité comme tel. (…) Ta douleur est ma distraction ; tes sentiments sont mes épisodes de remplissage. (…) Je voterai contre ton divorce s’il n’est pas assez divertissant. Ta vie est ce qui me sert à nettoyer ma cuisine, ce qui me permet de tuer le temps. Et si tu ne me divertis pas, tant pis, je ferai défiler la page pour une autre vie à consommer. (…) Les influenceurs nous invitent à entrer, puis ne peuvent plus nous faire sortir. »
« Que ressentiraient ces familles si Internet était coupé, si elles devaient faire des compliments, des compromis et des sacrifices sans la validation d’inconnus ? Sauraient-elles comment faire ? Sans commentaires ni émojis d’applaudissements ? (…) Tout semble inutile, inutile tant que ce n’est pas publié. Pourquoi être beau sans un selfie ; pourquoi sortir sans publier une story ? Pourquoi s’engager. »
« On sait comment cette émission se termine, cependant. Comme toutes les autres. Un jour, cette génération, ces influenceurs, découvrira avec effroi ce que toutes les célébrités, tous les candidats et tous les acteurs ont compris avant eux. Qu’après avoir tout offert, chaque centimètre de leur vie, chaque instant limité sur cette Terre, peu importe combien ils mettent en scène, combien ils répètent, combien ils échangent, combien de temps ils laissent les caméras tourner, nous nous demanderons toujours, finalement, ce qu’il y a d’autre à l’affiche ?» – Freya India – Girls.
MAJ du 4/11/2025 : « Nous avons gaspillé bien trop de temps sur nos téléphones », constatent les promoteurs de l’appel, Time to refuse (Il est temps de refuser). Le manifeste de ce collectif est porté par l’influenceuse américaine Freya India, par Gabriela Nguyen qui est à l’origine d’Appstinence, de Sean Killingsworth qui a lancé le Reconnect Movement et Nicholas Plante responsable de campagne du collectif Design it for us – et est soutenu par la Young People Alliance ainsi que par le psychologue Jonathan Haidt, l’auteur de Génération anxieuse (Les arènes, 2025 – voir également le site dédié) et animateur du blog After Babel, sur lequel ces jeunes chercheurs et activistes ont tous publié. Le collectif en appelle à une journée d’action le 10 octobre en invitant les jeunes à effacer une des applications de leurs téléphones. Leur manifeste (« un appel à l’action pour la génération Z, par la génération Z ») rappelle que c’est à cette génération de faire quelque chose pour se protéger de l’envahissement numérique.
« Nous souffrons. Près de la moitié de la génération Z regrette l’existence de plateformes comme X et TikTok. Nous trouvons enfin les mots pour décrire ce qui nous est arrivé : l’impact du porno hardcore sur notre cerveau enfant, l’impact des applications et des algorithmes sur notre capacité de concentration, et le fait que nous ne pouvons même plus distinguer correctement notre propre visage dans nos images. Nous réalisons que ce n’était pas normal ; ce n’était pas une enfance. Nous sommes arrivés dans ce monde sans limite d’âge, sans barrières, avec si peu de protection. Et la plupart des jeunes adultes à qui nous parlons – hommes, femmes, de tous horizons – réagissent avec une horreur totale à l’idée que leurs futurs enfants vivent ce qu’ils ont vécu ».
« Il est temps de se demander ce qui peut être fait. Il est temps de construire quelque chose de nouveau. Il est temps de reprendre ce que nous valons ». Et les porteurs de l’initiative de profiter de la Journée mondiale de la santé mentale, pour inviter leur génération à agir. « Refusez. Refusez d’être un produit. Refusez d’exposer votre vie privée au jugement public. Refusez de perdre encore des années de votre vie à parcourir des contenus vides et sans fin qui vous dégradent, vous rendent amer, envieux et égocentriques, de publier pour des personnes qui se moquent complètement de vous. Refusez de donner un centimètre de plus à des entreprises qui font fortune en vous volant votre attention et en vous servant des informations insignifiantes. Et refusez que cela se reproduise » pour la génération suivante. « Nous devons être les adultes dont la prochaine génération aura besoin », c’est-à-dire refuser que les prochaines générations subissent la même chose que la génération Z a vécu.
Et le manifeste d’appeler à « supprimez vos comptes », « libérez-vous de la pression de publier ». « Nous pouvons refuser d’être la génération anxieuse. Nous pouvons être la génération dont l’enfance a été volée par les entreprises, mais qui a récupéré cette liberté pour ceux qui sont venus après ».
Dans un reportage pour le New York Times, la journaliste Christina Caron rappelle pourtant que ce mouvement n’est pas un mouvement particulièrement techno-critique. Il n’incite pas les élèves à modifier leur rapport à la technologie, juste à créer des moments de déconnexion, sans téléphones, et de socialisation IRL.
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