Le piège de la loyauté : la fidélité des clients joue à leur détriment

Hubert Guillaud

Les cartes de fidélité ne sont plus ce qu’elles étaient, explique le Washington Post. « Les entreprises prétendent récompenser votre fidélité par des points, des réductions et des avantages. Mais en coulisses, elles utilisent de plus en plus ces programmes pour surveiller votre comportement et créer un profil, puis vous facturer le prix qu’elles pensent que vous paierez ». Le journaliste tech Geoffrey Fowler a demandé à Starbuck les données relatives à son profil lié à sa carte de fidélité. En les analysant, il a constaté que plus il achetait de café, moins il recevait de promotions : « plus j’étais fidèle, moins je bénéficiais de réductions ». Pour les commissaires du bureau de la protection des consommateurs à la Federal Trade Commission, Samuel Levine et Stephanie Nguyen, les programmes de fidélité se sont transformé en moteurs de « tarification de surveillance » : les entreprises utilisent l’IA et les données personnelles pour fixer des prix individualisés, autrement dit des marges personnalisées. Dans un rapport publié avec le Vanderbilt Policy Accelerator consacré au « piège de la loyauté », ils affirment que les programmes de fidélité ont inversé le concept de fidélité : au lieu de récompenser les clients réguliers, les entreprises pourraient en réalité facturer davantage à leurs clients fidèles. En fait, les clients réguliers bénéficient de moins de réduction que les clients occasionnels et finissent donc par payer plus cher du fait de leur loyauté. Les entreprises utilisent les données de consommation pour déterminer votre sensibilité au prix et votre capacité à payer. Starbuck n’est pas la seule entreprise à utiliser ses programmes de fidélité pour optimiser ses profits. 

Une enquête menée par Consumer Reports a révélé que Kroger, l’une des grandes enseignes de la grande distribution aux Etats-Unis, utilise des données clients détaillées, notamment des estimations de revenus, pour personnaliser les remises via son programme de fidélité. Pour Levine et Nguyen, les programmes de fidélité sont devenus une mauvaise affaire pour les consommateurs.

Via ces programmes, les entreprises attirent les clients avec des remises importantes, puis réduisent discrètement ces avantages au fil du temps. Les compagnies aériennes en sont l’exemple le plus flagrant : obtenir un vol gratuit nécessite de collecter de plus en plus de points avec le temps. Les points se déprécient, les dates d’effets se réduisent… bref, l’utilisation du programme de fidélité se complexifie. Désormais, toutes les entreprises vous poussent à passer par leur application pour surveiller vos achats. Même les programmes gratuits s’y mettent. « Les entreprises ne disent pas la vérité sur la quantité de données qu’elles collectent et sur ce qu’elles en font », explique Samuel Levine. Reste qu’abandonner les programmes de fidélité n’est pas si simple, car sans eux, impossible d’obtenir les premières réductions alléchantes qu’ils proposent. « Nous ne devrions pas être obligés de choisir entre payer nos courses et protéger notre vie privée », conclut Levine. 

Les lois des États sur la protection de la vie privée obligent déjà les entreprises à minimiser la quantité de données qu’elles collectent, mais ces lois ne sont pas appliquées aux programmes de fidélité, affirment Levine et Nguyen, qui militent également pour améliorer la surveillance des prix, comme le proposait leur rapport pour la FTC. Ils invitent les consommateurs à être moins fidèles, à supprimer régulièrement leurs applications, à s’inscrire sous différents mails. « J’entends souvent des lecteurs me demander pourquoi ils devraient se soucier de la surveillance. Voici une réponse : ce n’est pas seulement votre vie privée qui est en jeu. C’est votre portefeuille », conclut le journaliste.