« Mais pourquoi les Gafams veulent-ils intégrer l’IA générative partout, alors que les produits proposés jusqu’à présent, se sont révélés plutôt très décevants ? », questionne avec sa pertinence habituelle Ed Zitron. Pour comprendre cet enthousiasme pour ces technologies qui se révèlent souvent médiocres, il faut comprendre comment les entreprises de la tech gagnent de l’argent. Le modèle économique de nombreuses entreprises technologiques repose sur celui du logiciel en tant que service (SaaS, software as a service), où l’on vous facture un montant mensuel par utilisateur « pour un logiciel que vous ne possédez pas et ne contrôlez pas ». Si la proposition a plein d’avantages pour les entreprises qui y ont recours, cela conduit à une forme d’externalisation où les fonctionnalités de votre entreprise sont accomplies par d’autres, avec le risque d’un lock-in problématique, c’est-à-dire d’un verrouillage du client, un « enfermement propriétaire » qui rend le client totalement dépendant de la solution qu’il achète. Et Zitron de comparer le SaaS a un parasite qui devient d’autant plus puissant que votre entreprise grandit et qui finit par limiter votre capacité d’innovation à celle du fournisseur auquel vous êtes lié.
Outre l’infrastructure de calcul et de logiciels, les entreprises de la tech vendent d’innombrables services liés pour permettre aux entreprises de faire tourner leurs services. « Plus vous dépensez d’argent, plus il devient coûteux de partir, et ce coût devient d’autant plus lourd que votre organisation devient grande ». Quant aux cris d’exaspération et les récriminations à l’encontre de ces gammes logicielles, elles sont d’autant plus ignorées qu’elles proviennent de « personnes totalement différentes de celles qui prennent les décisions d’achats ». La seule force de ces solutions médiocres c’est d’être très utilisées et de faciliter une « conformité » qui rend la concurrence quasiment impossible pour les petites entreprises du logiciel d’autant que l’interopérabilité reste la grande absente de toutes ces solutions. Ce fonctionnement explique que les logiciels d’entreprises soient « si nuls » et pourquoi le modèle d’abonnement s’est imposé pour assurer des revenus récurrents.
Le problème estime Zitron, c’est que ce modèle pousse les entreprises qui fournissent des services à toujours en proposer de nouveaux. L’autre problème, c’est qu’elle crée des entreprises captives et favorise la concentration des activités des fournisseurs. On peut comprendre qu’une petite entreprise externalise ses besoins, mais il devient plus difficile de tout externaliser à mesure qu’elle grandit, surtout si cette externalisation passe par d’innombrables prestataires logiciels. La tendance à la concentration autour d’un seul prestataire logiciel grandit avec les clients et pousse les entreprises qui fournissent des services à proposer une gamme de plus en plus étendue de services (d’outils de visioconférence aux logiciels de paye…).
« C’est le fondement de l’ensemble de l’industrie technologique et d’une grande partie de la valorisation des entreprises technologiques : des milliers de milliards de dollars de capitalisation boursière sont soutenus par le modèle économique qui consiste à externaliser votre infrastructure et vos logiciels et à les facturer mensuellement, et à inventer de nouvelles façons de vous faire « investir dans votre infrastructure » en acceptant de les payer un peu plus chaque mois. »
Le problème, estime Zitron, c’est que cette industrie du service logiciel n’a plus d’idée pour assurer sa croissance autre que de faire croître le parasite. En fait, ce revenu annuel récurrent ne progresse plus (enfin, il progresse encore de plus de 20% par an, mais c’est la moitié de son niveau de progression d’il y a 5 ans). Non seulement les revenus baissent, mais la satisfaction des clients baisse également alors que le coût d’acquisition de nouveaux clients est plus élevé. Récemment une étude a montré que le nombre d’applications SaaS par entreprise, pour la première fois, a baissé (passant de 130 applications par entreprise en moyenne à 112). « Il se pourrait bien qu’il ne reste plus grand chose à vendre ! », ironise Zitron.
Dans ce paysage en berne, l’IA est une nouvelle promesse à vendre aux clients qui permet de renouveler le fond de services proposés. Tous les acteurs du SaaS ont donc produit des « gadgets IA ». « Il n’est pas évident de savoir ce que font ces produits alimentés par l’IA, et quand vous vous en rendez compte, ils ne semblent pas faire grand-chose », tance, cinglant, Zitron. « Presque toutes ces entreprises affirment que ces systèmes « réduisent la pénibilité » ou « améliorent la productivité », sans fournir d’explication réelle sur la manière dont cela pourrait se produire. » Pour l’instant, certains proposent de l’offrir gratuitement contre le renouvellement de leurs contrats premiums, d’autres la font payer assez cher, bien qu’il leur en coûte parfois plus cher encore, comme c’est le cas de Microsoft. Et Zitron d’évaluer par exemple que très peu des clients de Microsoft 365 semblent avoir opté pour l’option IA. Que le Github copilot de Microsoft semble coûter plus cher à l’entreprise que ce qu’il rapporte (alors qu’il est l’un des produits d’IA parmi les plus populaires et presque utile, bien qu’il semble générer beaucoup de bugs). En février, Microsoft annonçait 1,3 millions de comptes payants à Github copilot et 1,8 millions en septembre… La progression ralentit déjà !
L’IA générative semble le remède miracle pour facturer aux clients « ce qu’ils devraient déjà avoir ». « Au lieu de trouver un moyen d’organiser et de hiérarchiser intelligemment les messages, vous pouvez payer Slack (propriété de Salesforce) 10 $ de plus par utilisateur et par mois pour des résumés de fils de discussion et de canaux alimentés par l’IA ».
Le problème du boom de l’IA en service, « c’est qu’on ne sait pas si ces logiciels seront utiles, si nous avons vraiment besoin que nos e-mails soient résumés ou si les utilisateurs veulent vraiment un chatbot pour répondre à leurs questions ». Pour Zitron, l’IA générative pour l’instant ne se vend pas et elle coûte plus d’argent qu’elle ne rapporte lorsqu’elle se vend. « Dans tous les cas, le problème le plus évident de tous est qu’il ne semble pas y avoir beaucoup de croissance des revenus attribuables à ces outils, ce qui signifie qu’ils doivent soit devenir moins chers (ce qui rendrait leurs coûts intenables), soit meilleurs, ce qui obligerait ces entreprises à trouver un moyen de les rendre plus utiles, ce qu’aucune d’entre elles ne semble être en mesure de faire, et qui est probablement impossible ».