Le paradoxe des prévisions

Hubert Guillaud

« Voici le problème avec les prévisions : certaines sont exactes, d’autres sont fausses, et lorsque nous découvrons lesquelles, il est trop tard. Cela conduit à ce que nous pourrions appeler le paradoxe des prévisions : le test ultime d’une prévision utile n’est pas de savoir si elle s’avère exacte, mais si elle permet d’inciter à agir à l’avance », explique l’essayiste Tim Harford.

L’exactitude d’une prévision peut aider, mais elle n’est pas déterminante, rappelle Harford, qui se souvient d’une conférence fin 2019 où un orateur avait mis en garde contre le risque d’une pandémie, sans que cela ne déclenche, dans l’auditoire, de réaction appropriée pour s’y préparer. « La prévision était brillante… mais inutile ». L’agence fédérale de gestion des urgences a prévenu depuis longtemps des risques de catastrophes pouvant frapper la Nouvelle-Orléans. En 2004, l’ouragan Ivan, s’est détourné au dernier moment de la ville, sans que les autorités prennent des mesures adaptées. Quand Katrina a dévasté la ville en 2005, les prévisions n’avaient pas été utilisées pour s’y préparer. L’hôpital de Boston n’avait pas prévu l’explosion de bombes lors du marathon de Boston, mais l’hôpital avait organisé 78 exercices d’urgence majeurs, des marées noires aux accidents de train, qui leur a permis d’être réactif quand le pire est advenu.

Dans son livre, Seeing What Others Don’t (2015), le psychologue Gary Klein use du concept de pre-mortem, qui invite à réfléchir aux raisons de l’échec d’un projet avant même de le conduire, plutôt que de seulement faire une analyse une fois que l’échec est patent (post-mortem donc). Dans les années 80, Deborah Mitchell, Jay Russo et Nancy Pennington ont montré que cette perspective aidait les gens à générer davantage d’idées. Derrière cet exercice contre-intuitif, l’idée consiste non pas à rendre l’avenir connaissable, mais à nous rendre plus sages et prévoyants.

Barbara Mellers, Philip Tetlock et Hal Arkes ont eux organisé un tournoi de prévision sur plusieurs mois. Ils ont constaté que la réflexion des participants dans la durée adoucissait les préjugés. De même, « les scénarios de prospective ne sont pas des prévisions car ils ne visent pas à être précis, mais à être utiles. Le paradoxe des prévisions nous dit que ces deux qualités sont très différentes ». L’essentiel n’est donc pas de faire des scénarios prédictifs, mais de regarder ensuite ce que l’exercice transforme. Un bilan qui, semble-t-il, lui, est bien souvent manquant.