« L’IA générative est un désastre social »

Hubert Guillaud

« Les industriels de l’IA ont habilement orienté le débat sur l’IA générative vers leurs propres intérêts, en nous expliquant qu’elle était une technologie transformatrice qui améliore de nombreux aspects de notre société, notamment l’accès aux soins de santé et à l’éducation ». Mais plutôt que prendre au sérieux les vraies critiques (notamment le fait que ces technologies ne soient pas si transformatrices qu’annoncées et qu’elles n’amélioreront ni l’accès au soin ni l’accès à l’éducation), les géants de l’IA ont préféré imposer leur propre discours sur ses inconvénients : à savoir, celui de la menace existentielle, explique clairement Paris Marx sur son blog. Ce scénario totalement irréaliste a permis de mettre de côté les inquiétudes bien réelles qu’impliquent le déploiement sans mesure de l’IA générative aujourd’hui (comme par exemple, le fait qu’elle produise des « distorsion systémique » de l’information selon une étude de 22 producteurs d’information de services publics).

En Irlande, à quelques jours des élections présidentielles du 24 octobre, une vidéo produite avec de l’IA a été diffusée montrant Catherine Connolly, la candidate de gauche en tête des sondages, annoncer qu’elle se retirait de la course, comme si elle le faisait dans le cadre d’un reportage d’une des chaînes nationales. La vidéo avait pour but de faire croire au public que l’élection présidentielle était déjà terminée, sans qu’aucun vote n’ait été nécessaire et a été massivement visionnée avant d’être supprimée. 

Cet exemple nous montre bien que nous ne sommes pas confrontés à un risque existentiel où les machines nous subvertiraient, mais que nous sommes bel et bien confrontés aux conséquences sociales et bien réelles qu’elles produisent. L’IA générative pollue l’environnement informationnel à tel point que de nombreuses personnes ne savent plus distinguer s’il s’agit d’informations réelles ou générées. 

Les grandes entreprises de l’IA montrent bien peu de considération pour ses effets sociaux. Au lieu de cela, elles imposent leurs outils partout, quelle que soit leur fiabilité, et participent à inonder les réseaux de bidules d’IA et de papoteurs destinés à stimuler l’engagement, ce qui signifie plus de temps passé sur leurs plateformes, plus d’attention portée aux publicités et, au final, plus de profits publicitaires. 
En réponse à ces effets sociaux, les gouvernements semblent se concentrer sur la promulgation de limites d’âge afin de limiter l’exposition des plus jeunes à ces effets, sans paraître vraiment se soucier des dommages individuels que ces produits peuvent causer au reste de la population, ni des bouleversements politiques et sociétaux qu’ils peuvent engendrer. Or, il est clair que des mesures doivent être prises pour endiguer ces sources de perturbation sociale et notamment les pratiques de conception addictives qui ciblent tout le monde, alors que les chatbots et les générateurs d’images et de vidéos accélèrent les dégâts causés par les réseaux sociaux. Du fait des promesses d’investissements, de gains de productivité hypothétiques, les gouvernements sacrifient les fondements d’une société démocratique sur l’autel de la réussite économique profitant à quelques monopoles. Pour Paris Marx, l’IA générative n’est rien d’autre qu’une forme de « suicide social » qu’il faut endiguer avant qu’elle ne nous submerge. « Aucun centre de données géant ni le chiffre d’affaires d’aucune entreprise d’IA ne justifie les coûts que cette technologie est en train d’engendrer pour le public ».