Le soulèvement contre l’obsolescence programmée est bien engagé, estime Geert Lovink (blog) dans la conclusion d’un petit livre sur l’internet des choses mortes (The Internet of Dead things, édité par Benjamin Gaulon, Institute of Network Cultures, 2025, non traduit). Le petit livre, qui rassemble notamment des contributions d’artistes de l’Institut de l’internet des choses mortes, qui ont œuvré à développer un système d’exploitation pour Minitel, met en perspective l’hybridation fonctionnelle des technologies. Pour Lovink, l’avenir n’est pas seulement dans la réduction de la consommation et dans le recyclage, mais dans l’intégration à grande échelle de l’ancien dans le nouveau. Hybrider les technologies défuntes et les intégrer dans nos quotidiens est tout l’enjeu du monde à venir, dans une forme de permaculture du calcul. Arrêtons de déplorer l’appropriation du logiciel libre et ouvert par le capitalisme vautour, explique Geert Lovink. La réutilisation et la réparation nous conduisent désormais à refuser la technologie qu’on nous impose. Les mouvements alternatifs doivent désormais “refuser d’être neutralisés, écrasés et réduits au silence”, refuser de se faire réapproprier. Nous devons réclamer la tech – c’était déjà la conclusion de son précédent livre, Stuck on the platform (2022, voir notre critique) -, comme nous y invitent les hackers italiens, inspiré par le mouvement britannique des années 90, qui réclamait déjà la rue, pour reconquérir cet espace public contre la surveillance policière et la voiture.
“Reclaim the Tech » va plus loin en affirmant que « Nous sommes la technologie », explique Lovink. Cela signifie que la technologie n’est plus un phénomène passager, imposé : la technologie est en nous, nous la portons à fleur de peau ou sous la peau. Elle est intime, comme les applications menstruelles de la « femtech », décrites par Morgane Billuart dans son livre Cycles. Les ruines industrielles tiennent d’un faux romantisme, clame Lovink. Nous voulons un futur hybrid-punk, pas cypherpunk ! “La culture numérique actuelle est stagnante, elle n’est pas une échappatoire. Elle manque de direction et de destin. La volonté d’organisation est absente maintenant que même les réseaux à faible engagement ont été supplantés par les plateformes. L’esprit du temps est régressif, à l’opposé de l’accélérationnisme. Il n’y a pas d’objectif vers lequel tendre, quelle que soit la vitesse. Il n’y a pas non plus de dissolution du soi dans le virtuel. Le cloud est le nouveau ringard. Rien n’est plus ennuyeux que le virtuel pur. Rien n’est plus corporate que le centre de données. Ce que nous vivons est une succession interminable de courtes poussées d’extase orgasmique, suivies de longues périodes d’épuisement.”
Ce rythme culturel dominant a eu un effet dévastateur sur la recherche et la mise en œuvre d’alternatives durables, estime Lovink. L’optimisation prédictive a effacé l’énergie intérieure de révolte que nous portons en nous. Il ne reste que des explosions de colère, entraînant des mouvements sociaux erratiques – une dynamique alimentée par une utilisation des réseaux sociaux à courte durée d’attention. La question d’aujourd’hui est de savoir comment rendre la (post)colonialité visible dans la technologie et le design. Nous la voyons apparaître non seulement dans le cas des matières premières, mais aussi dans le contexte du « colonialisme des données ».
Mais, s’il est essentiel d’exiger la décolonisation de tout, estime Lovink, la technologie n’abandonnera pas volontairement sa domination du Nouveau au profit de la « créolisation technologique ».
La décolonisation de la technologie n’est pas un enjeu parmi d’autres : elle touche au cœur même de la production de valeur actuelle. Prenons garde de ne pas parler au nom des autres, mais agissons ensemble, créons des cultures de « vivre ensemble hybride » qui surmontent les nouveaux cloisonnements géopolitiques et autres formes subliminales et explicites de techno-apartheid. La violence technologique actuelle va des biais algorithmiques et de l’exclusion à la destruction militaire bien réelle de terres, de villes et de vies. Les alternatives, les designs innovants, les feuilles de route et les stratégies de sortie ne manquent pas. L’exode ne sera pas télévisé. Le monde ne peut attendre la mise en œuvre des principes de prévention des données. Arrêtons définitivement les flux de données !, clame Lovink.
La « confidentialité » des données s’étant révélée être un gouffre juridique impossible à garantir, la prochaine option sera des mécanismes intégrés, des filtres empêchant les données de quitter les appareils et les applications. Cela inclut une interdiction mondiale de la vente de données, estime-t-il. Les alternatives ne sont rien si elles ne sont pas locales. Apparaissant après la révolution, les « magasins de proximité » qui rendent les technologies aux gens ne se contenteront plus de réparer, mais nous permettront de vivre avec nos déchets, de les rendre visibles, à nouveau fonctionnels, tout comme on rend à nouveau fonctionnel le Minitel en changeant son objet, sa destination, ses modalités.
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