Les technologies des propriétaires sont en plein essor aux Etats-Unis, rapporte Tech Policy Press. Mais elles ne se limitent pas aux logiciels de tarification algorithmique de gestion immobilière, comme RealPage, dont nous vous avions déjà parlé (et que le ministère de la Justice continue de poursuivre au prétexte qu’il permettrait une entente anticoncurrentielle). Alors que la crise de l’accès au logement devient de plus en plus difficile pour nombre d’Américains, le risque est que la transformation numérique de l’immobilier devienne un piège numérique pour tous ceux à la recherche d’un logement. Le prix des loyers y devient de plus en plus inabordable. YieldStar de RealPage, influence désormais le prix de 70 % des appartements disponibles aux États-Unis et serait responsable de l’augmentation de 14% du prix de l’immobilier d’une année sur l’autre. Le développement de ces systèmes de fixation des prix coordonnés sapent l’idée que la concurrence sur le marché du logement pourrait seule protéger les locataires.
Des technologies pour harmoniser les tarifs, discriminer les locataires et accélérer les expulsions
Mais la numérisation du marché ne s’applique pas seulement au tarif des locations, elle se développe aussi pour la sélection des locataires. Alors qu’aux Etats-Unis, les propriétaires étaient souvent peu exigeants sur les antécédents des locataires, désormais, les conditions pour passer les filtres des systèmes de sélection deviennent bien plus difficiles, reposant sur une inflation de justificatifs et des techniques d’évaluation des candidats à la location particulièrement opaques, à l’image de SingleKey, l’un des leader du secteur. 9 propriétaires sur 10 passent désormais par ce type de logiciels, en contradiction avec la loi américaine sur le logement équitable, notamment du fait qu’ils produisent un taux de refus de logement plus élevé sur certaines catégories de la population. Ces systèmes reproduisent et renforcent les discriminations, et surtout, rendent la relation propriétaire-locataire plus invasive. Mais, rappelaient déjà The Markup et le New York Times en 2020, ils s’appuient sur des systèmes de vérification d’antécédents automatisés et défectueux, qui par exemple agglomèrent des données d’homonymes et démultiplient les erreurs (et les homonymies ne sont pas distribuées de façon homogène : plus de 12 millions de Latinos à travers les Etats-Unis partageraient seulement 26 noms de famille !). Les casiers judiciaires des uns y sont confondus avec ceux des autres, dans des systèmes qui font des évaluations massives pour produire des scores, dont nul n’a intérêt à vérifier la pertinence, c’est-à-dire le taux de faux-positifs (comme nous le pointions relativement aux problèmes bancaires). Soumis à aucune normes, ces systèmes produisent de la discrimination dans l’indifférence générale. L’accès aux registres judiciaires et aux registres de crédits a permis aux entreprises de « vérification d’antécédents » de se démultiplier, sans que les « vérifications » qu’elles produisent ne soient vraiment vérifiées. Contrairement aux agences de crédit bancaires, dans le domaine de la location, les agences immobilières qui les utilisent ne sont pas contraintes de partager ces rapports d’information avec les candidats rejetés. Les locataires ne savent donc pas les raisons pour lesquelles leurs candidature sont rejetées.
Mais, rapporte encore Tech Policy Press, une troisième vague technologique est désormais à l’œuvre : les technologies d’expulsion, qui aident les propriétaires à rassembler les raisons d’expulser les locataires et à en gérer les aspects administratifs. C’est le cas par exemple de Teman GateGuard, un interphone « intelligent » qui permet de surveiller le comportement des locataires et enregistrer toute violation possible d’un bail, aussi anodine soit-elle, pour aider à documenter les infractions des locataires et remettre leurs biens sur le marché. SueYa est un service pour aider les propriétaires à résilier un bail de manière anticipée. Resident Interface propose quant à lui d’expulser les locataires rapidement et facilement… Des solutions qui n’enfreignent aucune loi, rappelle pertinemment Tech Policy Press, mais qui accélèrent les expulsions. Les propriétaires américains ont procédé à 1 115 000 expulsions en 2023, soit 100 000 de plus qu’en 2022 et 600 000 de plus qu’en 2021. Sans compter que ces expulsions peuvent être inscrites au casier judiciaire et rendre plus difficile la recherche d’un autre logement, et ce alors que les logements sociaux, les refuges et les services aux sans-abri sont notoirement sous-financés et insuffisants, alors même que de plus en plus d’Etat pénalisent les personnes SDF.
Pour l’instant, les tentatives de régulation des PropTechs sont plus juridiques que techniques, notamment en renforçant le droit au logement équitable. Des villes ou Etats prennent des mesures pour limiter les vérifications des antécédents des locataires ou interdire le recours à des logiciels de fixation de prix. Des actions de groupes contre RealPage ou Yardi ou contre des plateformes de contrôle des locataires, comme SafeRent ou CoreLogic, ont également lieu. Mais, « les régulateurs et les agences ne sont pas conçus pour être les seuls à faire respecter les protections et les conditions du marché ; ils sont conçus pour créer les conditions dans lesquelles les gens peuvent faire valoir leurs propres droits ». Les gouvernements locaux devraient soutenir publiquement la représentation juridique des locataires comme moyen d’atténuer les impacts de la crise du logement, et créer une meilleure responsabilité pour la technologie pour rétablir l’équité dans la relation propriétaire-locataire. À l’échelle nationale, 83 % des propriétaires ont une représentation juridique, contre seulement 4 % des locataires. La ville de Cleveland par exemple a piloté une représentation publique pour les locataires, ce qui a permis à 81 % des personnes représentées d’éviter une expulsion ou un déménagement involontaire, à 88 % de celles qui cherchaient un délai supplémentaire pour déménager d’obtenir ce délai et à 94 % de celles qui cherchaient à atténuer les dommages d’y parvenir. En fait, assurer cette représentation permet d’assurer aux gens qu’ils puissent exercer leurs droits.
Les PropTechs exacerbent la crise du logement. A défaut de substituts à des logements abordables, l’enjeu est que le droit puisse continuer à protéger ceux qui en ont le plus besoin. Mais sans documenter les discriminations que cette conjonction de systèmes produit, le droit aura surement bien des difficultés à menacer les technologies.
MAJ du 16/03/2025 : Signalons que The American Prospect consacre son dernier numéro à la crise du logement américaine : l’inflation immobilière est la principale responsable de l’inflation aux Etats-Unis.