On se souvient des invitations, il y a quelques années, du chercheur Ethan Zuckerman à développer des infrastructures publiques du numérique, comme des médias sociaux publics. C’est la piste que tente de rendre concrète la chercheuse Christine Galvagna dans une tribune pour Tech Policy Press. La loi européenne sur les services numériques ne parvient pas à neutraliser les menaces que les grandes entreprises de médias sociaux font peser sur la démocratie et les droits fondamentaux. Les lourdes amendes infligées en cas de non-conformité sont trop souvent considérées comme un simple coût d’exploitation par des entreprises aux revenus colossaux et il est peu probable qu’elles modifient significativement leurs comportements.
Les institutions européennes et les États membres ont commencé à financer le développement de logiciels libres, notamment pour favoriser l’émergence d’alternatives aux produits et services des géants du numérique. On peut citer, par exemple, l’initiative « Next Generation » de la Commission européenne et l’Agence allemande pour la souveraineté technologique (ou plus pragmatiquement encore, chez nous en France, la suite numérique portée par la Direction interministérielle du numérique (Dinum), alternative aux outils propriétaires de Google ou de Microsoft sous forme de suite d’outils numériques proposant messagerie, système de visioconférence, éditeur et tableur collaboratif, outils de transferts de fichiers… disponibles pour les agents de l’Etat). Dans certains cas mêmes, des financements publics soutiennent le développement de réseaux sociaux décentralisés comme Mastodon, qui peuvent servir d’alternatives aux réseaux commerciaux. Mais, les programmes de financement public n’apportent généralement pas le soutien financier nécessaire au développement et à la compétitivité des réseaux décentralisés, estime la chercheuse. Les aides restent modestes et ponctuelles. Une nouvelle approche du financement public est nécessaire. Elle doit permettre de favoriser un écosystème de réseau social décentralisé, dynamique et durable, capable d’attirer des utilisateurs issus des principales plateformes de médias sociaux.
Une stratégie plus efficace consisterait à calquer le financement public des réseaux sociaux décentralisés sur celui des médias de service public. Ce financement, plus conséquent et stable, favoriserait une croissance durable. Conditionner ce financement à un engagement envers les valeurs du service public permettrait de garantir que les réseaux sociaux décentralisés protègent la démocratie, les droits fondamentaux et l’intérêt général sur le long terme. Le financement public doit également couvrir l’ensemble des activités et des fonctions nécessaires au succès d’un réseau social. Ces tâches comprennent le développement d’applications destinées aux utilisateurs et de leurs interfaces bien sûr, mais aussi les travaux techniques hors recherche et développement (comme la modération de contenu) et les activités non techniques telles que le marketing. Même les applications les plus sophistiquées échoueront si personne n’en a connaissance ou si elles sont truffées de bugs et de spams.
De manière générale, le montant des financements publics disponibles doit être au moins comparable aux budgets des grandes entreprises de médias sociaux. Pour la chercheuse, ce devrait être au minima 2 milliards d’euros d’aides qui devraient être disponibles pour ces réseaux. C’est beaucoup d’argent, mais ces investissements ne constituent qu’une infime fraction des dépenses annuelles des pays européens consacrées aux médias de service public pour soutenir des écosystèmes informationnels sains. Et la chercheuse de promouvoir la création d’un Fonds européen de souveraineté technologique (FEST) au niveau de l’Union européenne, qui constituerait un point de départ soutenu par de nombreux experts et entreprises. OpenForum Europe a présenté plusieurs options juridiques permettant aux institutions européennes de mettre en place ce Fonds.
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