L’IA sera-elle la tronçonneuse des libertariens ?

Hubert Guillaud

Pour TechPolicy Press, Kevin De Liban de TechTonic Justice et Alice Marwick de Data & Society soulignent que l’IA s’apprête à être la tronçonneuse de Musk au département de l’efficacité gouvernementale, puisque c’est grâce à elle que devrait être trouvé les 2000 milliards d’économies promises. C’est l’IA qui doit permettre d’identifier le personnel à licencier pour dégraisser la bureaucratie et c’est elle qui sera chargée d’effectuer leurs tâches une fois le personnel parti (MAJ du 24/01/2025 : Dans le Monde, Pascal Riché souligne très bien que réduire les dépenses américaines n’est pas tant réduire les services publics, quand les 2/3 des dépenses fédérales sont consacrés aux retraites, à la santé et à la Défense).

Bien évidemment, l’IA va surtout réduire la capacité des services publics à accomplir leurs missions, ce qui va éroder la confiance, conduisant à de nouvelles coupes budgétaires… L’IA permet de promettre des solutions rapides à des problèmes complexes. Mais c’est oublier que l’IA a un bilan désastreux dans les utilisations gouvernementales à enjeux élevés, comme le pointait le récent rapport de TechTonic. Opaque, difficile à contester, biaisée et erronée, l’IA dans les services publics n’a pas fait les preuves de ses qualités, au contraire. Même dans le secteur privé, l’impact de l’IA sur la productivité est resté marginal, rappelait récemment The Economist, qui soulignait que l’adoption reste faible, que beaucoup d’entreprises qui s’y sont mises ont mis au rencart leurs projets pilotes. Que la productivité des travailleurs est restée stable et que les marchés du travail n’ont pas connu de bouleversements. « L’IA n’a eu pratiquement aucun impact sur l’économie américaine, le chômage restant très bas et la croissance de la productivité faible ». En fait, l’usage de l’IA en entreprise progresse peu. « Les dépenses d’investissement dans les pays riches restent assez faibles, ce qui suggère que les entreprises n’investissent pas dans les outils qui permettraient à l’IA de leur donner un gros coup de pouce en matière de productivité. La question pour l’année à venir est de savoir combien de temps cette déconnexion entre les marchés financiers et l’économie réelle sur l’utilité de l’IA peut perdurer ».

L’utilisation de l’IA par le secteur privé suggère qu’il est peu probable qu’elle atteigne une efficacité à grande échelle, rappellent De Liban et Marwick. Et l’intégration de l’IA dans le gouvernement ne ferait que rendre le secteur public plus dépendant des riches entreprises technologiques qui la possèdent. « Compte tenu des dommages que l’IA inflige aux communautés les plus vulnérables, utiliser « l’efficacité gouvernementale » comme excuse pour remplacer les décideurs humains par des systèmes mal conçus ne fera qu’aggraver ces dommages, rendant des verdicts opaques et incontestables qui auront un impact profond sur la vie des gens. Pour quiconque croit que les institutions publiques devraient réellement servir le public, il s’agit d’un leurre inacceptable ».